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Un référentiel essentiel

L'heure lunaire, cet obscur objet du désir spatial

La Maison Blanche, après l’Agence spatiale européenne, a lancé cette semaine des recherches pour trouver un système horaire spécifique sur la Lune. Un objectif rendu nécessaire par la perspective d'une intensification de l'activité humaine sur et autour de ce satellite naturel de la Terre.

Une montre sur la Lune avec la silhouette de la Terre en arrière-plan.
Décider d'un référentiel temps spécifique pour la Lune est l'un des priorités en vue du retour de l'Homme sur le sol lunaire à partir de 2026. © iStock
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Les États-Unis veulent mettre les pendules à l’heure. Mais pas sur Terre. Washington a mandaté la Nasa pour trouver un référentiel temps spécifique à la Lune. L'agence spatiale américaine doit "fournir d'ici fin 2026 une stratégie définitive à la Maison Blanche pour établir un standard de temps lunaire", indique le communiqué de la Présidence américaine diffusé mardi 2 avril.

Le président américain Joe Biden n’est pas le premier à s'y intéresser. En 2023 déjà, l’Agence spatiale européenne (ESA) avait souligné l’importance de trouver au plus vite une heure lunaire qui conviendrait à tous.

Plus on est de fous sur la Lune...

Pour l'instant, on est loin de cette communion temporelle lunaire. Chaque pays qui dirige une mission sur ou autour du satellite naturel de la Terre peut, s'il le veut, utiliser son propre fuseau horaire ou le temps universel de référence (UTC) pour dater les observations faites sur place. Autrement dit, si un taïkonaute chinois, un astronaute américain et un spationaute européen se donnaient rendez-vous à cinq heures sur la Lune, ils n’arriveraient pas forcément tous en même temps, souligne le quotidien allemand Süddeutsche Zeitung

L'absence de référentiel n'a pas semblé gênant jusqu'à présent dans la conquête de l'espace. Alors pourquoi cet intérêt soudain des deux côtés de l’Atlantique pour définir une heure lunaire ? Tant qu'il n'y avait qu'un petit pas pour un homme à faire, la nécessité de synchroniser ses montres ne sautait pas forcément aux yeux. Mais de plus en plus de monde veut désormais franchir ce grand pas pour l'Humanité.

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"Il y aura très probablement un jour un riche écosystème de milliers d’engins spatiaux en orbite autour de la Lune ou sur la surface lunaire qui devront interagir entre eux. Il sera alors essentiel d’avoir un référentiel commun pour une ressource aussi fondamentale que le temps", assurent Philip Linden, expert pour l'Open Lunar Foundation, une association américaine qui œuvre pour "un développement pacifique et durable sur la Lune", et Chris Rabotin, ingénieur pour l’entreprise Blue Ghost de conception d'alunisseurs.

Tout le monde pourrait s'accorder à utiliser l'UTC sur la Lune. "C'est envisageable pour des missions de courte durée, mais le but consiste à développer une présence à long terme, voire permanente, sur la Lune et dans ce cas là, il vaut mieux avoir une certaine autonomie par rapport à la Terre", objecte Javier Ventura-Traveset, chef du bureau des sciences de la navigation de l'ESA. En effet, pour rester à l'heure universelle de référence, il faut une liaison constante avec la Terre. Quid en cas de perte de connexion ? Le personnel sur place se retrouverait-il alors perdu dans le temps ?

De l'importance de 58,7 microsecondes

Il est aussi impossible de considérer la Lune comme un simple nouveau fuseau horaire de l'UTC. En effet, "pour établir les fuseaux horaires, on ajoute ou soustrait des heures au temps universel de référence, mais ce temps s'écoule à la même vitesse à Tokyo ou à Paris. Ce n'est pas le cas sur la Lune", soulignent Philip Linden et Chris Rabotin.

Selon la théorie générale de la relativité, plus la gravité est forte, plus le temps s'écoule lentement. Et comme elle est plus faible sur la Lune, les aiguilles d'une montre y avancent plus vite, de 58,7 microsecondes par jour.

C'est peut-être un détail pour vous, mais pour la localisation précise des objets et des personnes, cela veut dire beaucoup. Dans les systèmes GPS ou Galileo (l’alternative européenne), le temps joue un rôle fondamental pour la précision de la géolocalisation. Dans chaque satellite GPS, par exemple, il y a une horloge atomique - le nec plus ultra en terme de précision - et "la distance entre l'émetteur [comme un smartphone, NDLR] et le satellite est déduite en fonction du temps de transmission des données, chronométré par l'horloge atomique", expliquait en 2013 à France 24 Rodolphe Le Targat, physicien à l’Observatoire de Paris. C'est cette distance qui permet ensuite d'affiner la localisation.

Pour un GPS, ces microsecondes de différence d’écoulement de temps entre la Lune et la Terre "peut se traduire par une erreur de géolocalisation de 17 km", assure l’astrophysicien Robert Lamontagne, interrogé par Radio-Canada.

Une erreur qui peut porter à conséquence "s'il s’agit par exemple de localiser ou de donner des directions à des spationautes, il s'agit de ne pas se tromper", assure Agnès Fienga, astronome à l'Observatoire de la Côte d'Azur, qui participe aux groupes de travail au niveau international pour la définition du temps sur la Lune.

Des horloges atomiques pour éviter le chaos lunaire

Encore une fois, lorsque robots et spationautes se déplaceront par centaines ou plus sur la surface lunaire, un référentiel de temps spécifique à la Lune sera nécessaire pour éviter un chaos lunaire et d’éventuels accidents liés à des erreurs de géolocalisation.

"L'ESA est en train de développer tout un système de communication et de navigation de type Galileo au sein du programme Moonlight. Et la première étape est de trouver une définition du temps lunaire acceptable par tous", note Javier Ventura-Traveset.

Ce premier obstacle pourrait être franchi très bientôt. "Une définition du Temps lunaire coordonné (TLC) va être soumise à l'Union astronomique internationale en août 2024", assure Agnès Fienga.

Ensuite, "une deuxième étape consistera à mettre en place un système pour raccorder le temps lunaire à l'UTC terrestre", ajoute cette astronome. Il faut pouvoir établir des équivalences entre l'heure sur Terre et celle sur son satellite naturel. Cela peut s'avérer très important, par exemple, pour les scientifiques "à bord de la Station spatiale internationale qui sont à l'heure UTC", précise Javier Ventura-Traveset.

Enfin, il sera l'heure de passer aux travaux pratiques. "Il faut alors mettre en orbite autour de la Lune des horloges atomiques et en installer aussi sur la surface afin d'avoir un référentiel", explique Javier Ventura-Traveset. La Nasa estime que trois horloges atomiques seront nécessaires sur la Lune pour "définir un standard lunaire auquel seront comparées toutes les autres horloges", explique la revue scientifique Nature.

Un vaste programme qui va prendre du temps. "L'objectif de 2026 [fixé par le communiqué de la Maison Blanche] semble un peu court vu tout ce qu'il y a faire et discuter", estiment Philip Linden et Chris Rabotin. L'ESA, de son côté, se projette à un horizon plus lointain, probablement pas avant 2030.  

Un standard horaire pour Mars ensuite ?

La formulation des objectifs fixés à la Nasa par Washington est, d'après les experts interrogés par France 24, assez alambiquée. Il ne s’agit pas d'avoir tout fini, mais de "fournir une stratégie définitive" qui contiendrait des "considérations relatives au temps lunaire coordonné". De quoi se perdre en interprétations…

Si la présidence américaine a ainsi fixé l'objectif de 2026, c’est peut-être aussi probablement pour donner l’impression d’être en avance sur le dossier. Alors qu'en réalité, "la Maison Blanche est un peu en train de rattraper son retard par rapport à l'Europe et l'ESA ici", affirme Catherine Heymans, astronome royale d'Écosse. Une volonté d’affirmer le leadership américain qui ne serait pas sans arrière-pensée géopolitique… notamment par rapport aux ambitions spatiales chinoises, d’après les spécialistes interrogés par France 24.

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Et cette course au temps lunaire pourrait n'être qu’un premier pas vers la Lune et au-delà. "Il pourra ensuite être question d'une heure martienne, sur Jupiter et autres. D'ailleurs l'Internet Society Interplanetary Chapter planche déjà sur cette question. On peut ainsi très bien s’imaginer un système solaire dans lequel cohabitent plusieurs 'espace-temps' dans lesquels chaque région pourrait avoir son standard horaire local”, soulignent Philip Linden et Chris Rabotin.

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