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Devenir manager ne fait plus rêver les jeunes : que peuvent faire les entreprises pour inverser la tendance ?

Les jeunes sont de moins en moins attirés par la fonction de manager, qui leur apparaît souvent comme difficile, stressante et peu épanouissante. Cette désaffection grandissante pose un défi aux entreprises, qui doivent trouver des moyens d’attirer de nouveaux talents vers ces postes clés pour leur performance. L’enjeu pour les dirigeants et les DRH est de mieux soutenir et accompagner leurs personnels encadrants, afin de leur permettre de remplir leurs missions dans de meilleures conditions.

Les managers sont désabusés et ne font plus rêver les jeunes talents : c’est le constat de plusieurs études différentes, menées ces dernières années. En 2018, l’Observatoire Cegos, cabinet de conseil spécialisé dans la formation professionnelle, parvenait à la conclusion que 66 % des salariés français n’avaient pas pour ambition de devenir chefs d’équipe. En 2019, Michael Page observait que 54 % des 18-29 ans souhaitaient devenir managers au cours de leur carrière, mais que cette envie avait tendance à « faiblir au fil des ans », au fur et à mesure de leur expérience professionnelle. Ainsi, les 30-49 ans n’étaient que 42 % à aspirer à une prise de responsabilités.

La troisième étude, réalisée par le Boston Consulting Group (BCG) début 2020, avant la crise du Covid-19, indiquait que 37 % des managers seulement souhaitaient alors conserver leur poste. En outre, seul un employé occidental sur dix aspirait à devenir manager. Enfin, une récente étude Ifop pour Freelance.com constate que 60 % des cadres exerçant des fonctions d’encadrement ont songé à démissionner ces derniers mois.

Des managers « pas bien dans leurs baskets »

Pourquoi une telle désaffection, visiblement croissante ? Selon le BCG, les managers trouvent leur métier « plus compliqué qu’avant » (85 %), et se sentent aussi davantage débordés (78 %). Ils déplorent notamment le fait de passer presque l’intégralité de leur temps à “gérer des complications”. De son côté, Michael Page observe que les jeunes sont d’abord motivés par « le symbole de réussite et la dimension humaine du poste », avant le salaire ; mais qu’en évoluant dans le monde de l’entreprise, ils finissent par « s’apercevoir que cette fonction comprend son lot de contraintes, que tout le monde n’a pas les compétences pour l’exercer, et qu’il existe aussi d’autres formes d’épanouissement et de performance. » En outre, la majorité des chefs d’équipe déplorent, plus globalement, le fait de « ne pas disposer des moyens nécessaires pour performer » (70 %), ainsi qu’un manque de soutien de la part de leur hiérarchie (55 %).

« Si les managers ne font plus rêver, c’est parce qu’ils ne sont « pas bien dans leurs baskets : être encadré par un chef d’équipe fatigué, débordé, qui manque de recul et qui commet des erreurs ne donne pas vraiment envie de se diriger vers ce poste », constate Olivier Chaussard, directeur associé au sein du cabinet Oresys. « Aujourd’hui, cette fonction est beaucoup plus difficile qu’autrefois. Et pourtant, ce que l’entreprise en attend n’a pas changé en 20 ans. Les attentes restent les mêmes vis-à-vis des managers : ils doivent faire tourner la boutique, s’occuper des collaborateurs, incarner la stratégie d’entreprise, et accompagner les changements », ajoute-t-il.

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Une fonction pas suffisamment valorisée et reconnue

L’expert observe que ce qui a changé, ce sont les conditions d’exercices du management. « Deux séismes ont bouleversé ce job. Le digital a d’abord fait exploser les silos et le contrôle de l’information par le manager. Sa posture évolue depuis une dizaine d’années, avec son lot de difficultés. La crise du Covid-19 a ensuite transformé l’organisation du travail, avec la montée du télétravail et du flex office. Les salariés aspirent davantage à une meilleure QVT, ainsi qu’à une plus grande autonomie. Leurs managers doivent gérer leurs équipes malgré la distance, ce qui complique leur tâche. Résultat : beaucoup sont aujourd’hui dépassés dans leurs nouvelles conditions d’exercice », explique-t-il.

Dans un post LinkedIn, la professeur des universités Isabelle Barth observe même un réel « manque d’appétence » chez les étudiants… en Master 2 de management commercial. « La raison principale à cette situation est que cette fonction leur semble présenter trop d’ennuis pour un retour sous proportionné. Etant en moyenne depuis 2 ans en entreprise (en alternance), ils observent leurs propres managers et ils voient des personnes fatiguées, faisant des horaires exorbitants, et ayant à assurer une activité opérationnelle exigeante », note-t-elle. « Ils me décrivent des réunions chronophages, des temps administratifs ingrats, l’obligation de défendre des directives de la direction auxquelles souvent ces managers ne croient pas eux-mêmes, et … le manque de reconnaissance des collaborateurs », ajoute la chercheuse.

Pourquoi, dès lors, « vivre ces affres quand on peut choisir des fonctions d’expertise (commercial grand compte, ingénieurs expert, conseil interne) ? », s’interroge Isabelle Barth. « L’enjeu, c’est surtout de trouver des managers qui savent manager dans cette nouvelle donne du digital, du travail hybride et des changements permanents, estime de son côté Olivier Chaussard. On leur demande toujours plus, et si on ne les aide pas, ils s’épuisent et véhiculent une mauvaise image de leur poste auprès de leurs équipes ».

Manager, « un métier de service, non de pouvoir »

Pour le directeur associé d’Oresys, les chefs d’équipe « capables de s’adapter » sont ceux qui « savent déléguer » et adopter une nouvelle posture – celle de « managers coachs ». « Ceux qui savent qu’ils ne peuvent pas tout faire seuls sont davantage heureux dans leur travail, et impactent positivement leurs collaborateurs. Mais actuellement, il y a encore beaucoup trop d’erreurs de casting », affirme-t-il. Bien souvent, la fonction de manager demeure en effet associée au concept d’ascension hiérarchique et d’évolution professionnelle. « On met à ce poste des salariés experts avec l’idée qu’il s’agit pour eux de la seule façon de progresser. Ils sont finalement malheureux, car gérer des équipes ne les intéressent pas ou ne relèvent pas de leurs compétences, et aussi parce qu’ils doivent abandonner tout un pan d’activités opérationnelles qu’ils aimaient réaliser », note Olivier Chaussard. Selon lui, la clé serait d’accepter que « l’on puisse progresser sans être nécessairement en situation de management. Il faut rendre plus attractifs d’autres parcours, comme ceux de chefs de projet, où l’on vous demande d’animer des équipes transverses, sans en être directement responsable ».

« Pour la majorité des jeunes en école de commerce, on est dans un rejet du management, pour des raisons qui relèvent tant des représentations que d’expériences malheureuses : le fameux «ras le bol managérial» : celui du petit chef, du management vertical, de l’absence de reconnaissance et de bienveillance. Les écoles de management n’y sont pas pour rien : depuis des années, elles n’en ont que pour les «leaders», figures présentées comme bien plus attractives que les managers, et, au final, elles ne proposent que très peu de formations aux compétences managériales », note Isabelle Barth. Mais pour la spécialiste en RH, « si le management ne fait plus rêver, c’est une très bonne chose. On deviendra moins manager par défaut, avec comme seul motif de progresser dans la carrière. Les entreprises réaliseront que manager requiert des compétences spécifiques, de la formation, et du temps dans l’agenda. Et elles comprendront enfin qu’il s’agit d’un métier de service, non de pouvoir ».

Accompagner et soutenir les managers, au-delà de la formation

Pour Olivier Chaussard, il appartient finalement aux DRH et aux dirigeants d’accompagner davantage les managers en place. « Il faut aller au-delà des programmes de formation. Ils sont nécessaires pour faire prendre du recul aux chefs d’équipe sur ce que l’on attend d’eux aujourd’hui, mais on reste assez loin de l’exercice même de leur métier. Une formation de 3 mois ne permettra jamais d’être réellement outillé face à des situations managériales difficiles », indique-t-il.

Deux bonnes pratiques lui apparaissent intéressantes dans ce sens. D’abord, le développement de « communautés de managers », où ces derniers partagent entre eux conseils et retours d’expérience. « Des entreprises généralisent aussi le Codev (codéveloppement professionnel), un outil de résolution des problèmes basé sur l’intelligence collective. Un manager peut l’activer à tout moment, quand il en a besoin, face à une situation complexe, en interrogeant un collègue ». Pour le directeur associé du cabinet Oresys, « ce genre de structures ne se mettent pas en route toutes seules, et la DRH peut avoir un rôle moteur ».

Pour Olivier Chaussard, les dirigeants doivent ensuite « associer les managers aux réflexions stratégiques, plutôt que de les cantonner à un rôle de passe-plat. Il s’agit aussi de redonner à leur fonction ses lettres de noblesse, et d’en faire des acteurs de la transformation de l’entreprise ». « Tout cela permettrait d’avoir des managers plus épanouis, et de donner envie aux autres de le devenir », conclut-il.

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