Alexandre Coutant © Cédric vigneault, Enssib

Rencontre avec Alexandre Coutant, chercheur invité de l’Enssib

Chercheur d’origine française en sciences de l’information et de la communication exerçant à l’Uqam (Université du Québec à Montréal), Alexandre Coutant a rejoint l’Enssib le 1er septembre 2022 pour un an en tant que chercheur invité. Entretien autour des pratiques informationnelles et de la question de la confiance dans les médias, qui sont au cœur de ses travaux de recherche.

 

1/ Pourquoi avoir accepté de rejoindre l’Enssib en tant que chercheur invité ?

Alexandre Coutant : J’ai effectué toutes mes études à Lyon dont mon doctorat en sciences de l’information et de la communication. J’avais pu constater que ce dialogue entre sciences de l’information et sciences de la communication, qui n’est pas forcément facile à mettre en place ailleurs, était très présent à l’Enssib. Or, je pense que cette approche pluridisciplinaire est très importante pour comprendre les phénomènes de circulation de l’information, et d’autant plus pertinente avec le développement du numérique, qui s’est glissé dans tous les interstices de notre quotidien, car elle permet d’appréhender toutes les dimensions de la manière dont est produite, diffusée et reçue l’information. Cela constitue une approche très riche qui va souvent amener à des lectures très différentes des lectures monodisciplinaires.

 

2/ Existe-t-il des différences entre le Québec et la France dans l’approche des sciences de l’information et de la communication ?

Alexandre Coutant : La principale différence est qu’il n’existe pas au Québec de rapprochement entre science de l’information et science de la communication. En revanche, le contact avec les praticiens y est beaucoup plus aisé. Dès que nous avons commencé nos enquêtes, réalisées en partenariat avec les professionnels de l’information scientifique et du journalisme, nous avons eu beaucoup de réponses de la part des journalistes, y compris de personnalités très connues. Par comparaison, l’un de mes doctorants qui étudie comment la loi votée en France contre les fake news transforme les pratiques informationnelles des journalistes, n’a obtenu que très peu de réponses de la part des professionnels français qu’il a contactés.

 

3/ Sur quels sujets portent vos recherches actuellement ?

Alexandre Coutant : Le cœur de mes recherches, c’est l’établissement de la confiance, particulièrement dans des contextes numériques mais sans oublier les contextes hors ligne, car le numérique est présent partout mais ne remplace pas toutes les autres dimensions de l’accès à l’information. Ces études ont pu porter, par exemple, sur les raisons pour lesquelles quelqu’un consulte les avis sur Google pour choisir un restaurant, s’adresse à sa communauté sur Twitter ou à un bibliothécaire pour trouver une information scientifique. Plus récemment, mes recherches se sont portées sur la confiance dans les médias d’information. C’est une porte d’entrée très intéressante pour étudier l’ensemble des pratiques de consommation de l’information car on trouve dans ces médias aussi bien des faits divers, de la critique culturelle que des informations politiques.

 

4/ Quelles principales observations avez-vous tirées de l’étude sur le rapport des citoyens à l’information à laquelle vous avez participé au Québec ?

Alexandre Coutant : Le point de départ de cette étude était l’importance énorme donnée dans les médias au phénomène de fausses nouvelles, de complotisme, de désinformation, présenté comme massif et constituant des risques graves, alors toute la littérature produite depuis des années par les chercheurs sur le sujet souligne bien que la consommation d’actualités repose sur leur mise en perspective avec beaucoup de contenus différents et d’avis d’autres personnes, ce qui disqualifie l’idée d’effets directs. Une étude menée à propos des informations consommées sur Facebook pendant la campagne présidentielle de 2016 aux États-Unis estime ainsi que les principales fake news partagées représentent 0,006%, c’est insignifiant[1]. Nous avons donc cherché à comprendre pourquoi, malgré ces résultats scientifiques, les médias continuaient d’être effrayés par ce phénomène. Nos résultats ont confirmé que les effets directs des fake news sont très faibles. Les gens y répondent peu, ou alors pour les discréditer et, c’est peut-être particulier au Québec, avec une certaine civilité. En revanche, nous avons observé beaucoup de critiques envers les médias, les politiques, les institutions, notamment de santé car notre enquête a eu lieu pendant la pandémie. Mais les gens sont plutôt bien informés. Par exemple, on a constaté que les personnes qui critiquaient le directeur de la santé publique au Québec pour avoir incité la population à ne pas porter de masque alors qu’à l’époque il existait déjà une littérature scientifique rigoureuse qui disait le contraire, le faisaient en citant des sources fiables. Cela casse l’image d’une populace gouvernée par ses émotions et incapable de se remettre en question.

 

5/ Quelles pourraient être les solutions face à cette défiance des citoyens envers les médias traditionnels et les institutions ?

Alexandre Coutant : L’un des moyens de combattre cette défiance serait de créer des espaces de discussion collective où les gens pourraient s’exprimer, quitte à dire une bêtise car elle serait immédiatement corrigée par d’autres. Pendant la pandémie, on a vu par exemple des experts former des groupes sur WhatsApp ou Twitter afin de diffuser leurs connaissances, qu’ils avaient du mal à faire entendre dans les médias traditionnels ou auprès des institutions, permettant ainsi de faire dialoguer chercheurs et grand public et ouvrant la possibilité d’un apprentissage collectif. Un autre grand résultat de notre enquête est que même si individuellement tout le monde n’est pas ultra compétent dans le domaine traité, la conversation va créer une intelligence collective et permettre à chacun de faire évoluer ses opinions.
En revanche, on voit que ces initiatives émanent de la société civile mais sont peu travaillées par les médias eux-mêmes. Comme le montre aussi notre enquête, les critiques ne portent pas sur le rôle des journalistes, tout le monde reconnaît l’importance d’une information de qualité dans une démocratie, mais sur certaines méthodes de travail. Nous, chercheurs, devons maintenant convaincre les journalistes de la nécessité de ne pas se contenter de délivrer de l’information mais aussi de l’accompagner, d’expliquer leur démarche, de devenir des médiateurs. Le principal enseignement que je retire de mes travaux est qu’il faut arrêter de considérer qu’un individu est isolé face à la réception d’une information ; il est au contraire exposé en permanence à un ensemble d’autres informations et échanges qui vont entrer en interaction. Ce qui est important, c’est de comprendre comment se forme une opinion dans ce contexte-là.

 

[1] Watts, D. J. et Rothschild, D. (2017). Don’t blame the election on fake news. Blame it on the media. Columbia Journalism Review.

 

Propos recueillis par Véronique Heurtematte
Le 25 octobre 2022