Les enseignants s’en rendent parfois compte en surveillant des examens. Professeure d’anglais en lycée dans le Var, Anne (certaines personnes interrogées ont requis l’anonymat) supervisait les épreuves de français au baccalauréat l’an dernier quand une élève lui a demandé l’heure. « J’étais étonnée, j’avais vérifié en arrivant que l’horloge fonctionnait bien. » Elle la lui a désignée du regard. « Elle m’a dit qu’elle ne savait pas lire l’heure sur une aiguille. » « En contrôle, j’entends régulièrement “madaaaame, il reste combien de temps ?”, et ils ont l’air un peu égaré quand je leur montre l’horloge bien visible au-dessus du tableau », raconte aussi Claire, enseignante de SVT en banlieue parisienne. Une autre professeure de SVT en lycée explique que, depuis deux ans, elle constate que ses élèves ne lisent plus l’heure sur une horloge : « Ils ne s’en cachent pas, ils sont trop habitués à leur téléphone. »
A la boutique de montres Louis Pion de la rue de Rennes, à Paris, Radia, vendeuse, a remarqué ces dernières années que les montres Casio vintage s’arrachaient au mois de mai, à l’approche de la saison des examens, histoire d’avoir l’heure numérique sur soi. « C’est un carton ! », confirme Vincent Kindmann, horloger à Chartres. Ces montres, ainsi qu’un petit réveil de voyage pliable à 25 euros qu’élèves et étudiants achètent pour le poser sur la table pendant les contrôles, au cas où les montres seraient interdites (c’est le cas des montres connectées). Marthe, en première année de fac de géographie, se souvient d’en avoir apporté un pour les épreuves écrites du bac, parce qu’elle avait « peur de s’embrouiller » avec les chiffres romains de l’horloge à aiguilles.
Dans certains lycées, lors des examens de fin d’année, les surveillants notent ponctuellement le temps qui reste au tableau. Dans son établissement du Var, Anne dit avoir pris l’habitude de « faire horloge parlante » : elle donne régulièrement l’heure à voix haute. Au Royaume-Uni, cela fait déjà quatre ans que l’Association des directeurs de collèges et de lycées (Association of School and College Leaders, ASCL) recommande à ses membres de remplacer les horloges à aiguilles, trop stressantes, par des horloges numériques. « La question avait été soulevée pendant une réunion d’une association de responsables d’examens. Ceux-ci avaient remarqué que de plus en plus d’élèves avaient du mal à savoir combien de temps il leur restait », se souvient Malcolm Trobe, alors secrétaire général de l’ASCL.
D’autres professionnels de l’éducation sont aux premières loges du déclin des aiguilles : les professeurs de langues. « Quand j’ai commencé il y a quinze ans à Bagneux, se souvient Paula Antunes, professeure d’anglais, je m’attendais à des difficultés lexicales dans l’apprentissage de l’heure, sur “past”, “to”, “o’clock”… A l’époque, on projetait des horloges au tableau. En fait, ils ne savaient pas du tout lire l’heure. J’ai vite changé et je n’ai plus mis de cadran. » Désormais enseignante au lycée Lakanal, à Sceaux (Hauts-de-Seine), elle dit que ses élèves de 4e semblent savoir lire l’heure, mais que, pendant les contrôles, elle les surprend à la vérifier sur leur téléphone, théoriquement interdit en classe. « Si je leur dis qu’il y a une horloge dans la classe, ils me rétorquent que c’est plus dur à lire. » Elle en voit aussi certains compter les traits de l’horloge pour être sûrs.
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