José-Alain Sahel

José-Alain Sahel

De l’ombre à la lumière

La recherche n’a pas de frontière et ne doit pas en avoir.

Chef de service à l’hôpital des Quinze-Vingts et professeur à Sorbonne Université, cet ophtalmologiste visionnaire a fêté les dix ans du prestigieux institut qu’il a fondé en 2009 pour lutter contre les maladies de la rétine.

Un microscope ancien pour unique ornement, une table de travail, une bibliothèque aux vitres opaques, le bureau du professeur José-Alain Sahel est à l’image de son locataire. La sobriété qui l’habite rend visible l’essentiel. À 64 ans, le directeur de l’Institut de la Vision a le sourire timide et le phrasé sûr. À la tête d’un des meilleurs centres mondiaux d’ophtalmologie, il s’est installé au troisième étage du 17 rue Moreau dans le 12e arrondissement de Paris, au contact direct des patients et des chercheurs. « Il n’y a pas de code entre les laboratoires de l’institut. Une fois que l’on est entré, on est chez soi partout », précise avec bienveillance le directeur en entrouvrant les stores. Un souci de fluidité et de transparence qui se reflète jusque dans la façade du bâtiment dont la variation des textures vitrées permet aux aveugles de repérer l’entrée.

Oser l’impossible

Dix ans déjà que José-Alain Sahel, entouré par des fidèles de la première heure, a réussi son pari : créer une structure qui intègre dans l'hôpital la recherche, l'innovation, le développement technologique et les solutions pour les malades. Un pari fou qui aurait pu ne jamais voir le jour, comme le rappelle le neurobiologiste Serge Picaud, directeur adjoint de l’Institut de la Vision : « C’était complètement inconscient de la part de José Sahel, et de nous tous à ses côtés, de croire qu’il serait possible de construire un tel institut. À l’époque, les partenariats public-privé n’existaient pas encore à l’hôpital. Et nous n’étions qu’une toute petite équipe strasbourgeoise sans grands moyens. L’ambition de José de développer des projets d’envergure comme les prothèses rétiniennes me semblait alors totalement irréaliste. Mais il a eu la folie de suivre ses rêves. » 

Des rêves nés il y a plus de trente ans, dans une cave de l’université de Strasbourg où s’était installé le jeune chercheur fraîchement revenu des États-Unis après un postdoc à Harvard. Petit à petit, d’autres l’ont rejoint, comme Serge Picaud en 1995. Avec eux, il a monté un laboratoire dans l’animalerie désaffectée qu’on leur avait attribuée. « Les écoles doctorales ne voulaient même pas financer les étudiants d’un labo aussi minable », se souvient José-Alain Sahel. Dix ans plus tard, en 2005, alors professeur d’ophtalmologie à Paris, il fera preuve de la même opiniâtreté face à l’avis de la Cour des Comptes qui qualifiait son projet de « pharaonique, vide et sans envergure internationale ».

José-Alain Sahel

Ne jamais se résigner

Cette ténacité face à l’adversité, il la doit certainement à son éducation. Né en Algérie en 1955, José-Alain Sahel passe ses premières années près d’Oran. Sa mère est institutrice, comme son père qui devient ensuite inspecteur. Des parents exigeants qui lui inculquent les valeurs humanistes et le sens de l’intérêt général. « Mon père venait d'une famille pauvre où il n'y avait rien d'autre que le travail », explique-t-il. Puis, de raconter comment, en plein hiver 61, il s’est retrouvé avec sa famille sur la place d’une ville qu’il ne connaissait pas, après un départ précipité de l’Algérie où son père était menacé de mort par l’OAS, en raison de sa fidélité à la République : « Le lendemain de notre arrivée à Rodez, mes parents nous ont emmenés à l'école, comme si de rien n’était. Il n’y avait pas de question à se poser », souligne le professeur qui, encore aujourd’hui, ne supporte pas qu’on s’attarde sur les problèmes plutôt que sur les solutions.  

À partir du moment où l'on choisit de faire ce métier, le problème du patient devient notre problème. On est engagé.

À l’école, il se distingue dans toutes les matières. Naturellement doué pour les mathématiques et la physique, ses enseignants l’orientent vers les meilleures prépas scientifiques. Mais le brillant lycéen, épris de poésie et de philosophie, cherche un métier qui lui permette de combiner l'humain et la science. Il croit trouver cet équilibre avec la médecine. Dix années d’études qu’il déteste, déplorant le « bourrage de crâne » et des cours qui ne proposaient qu’un « savoir fermé et des recettes de cuisine ». Un évènement lui fait vite oublier cette période. Alors qu’il était encore externe à l’hôpital Saint-Louis, il assiste à la découverte d’un nouveau protocole qui permet à des enfants atteints de leucémie d’échapper à une mort certaine. « C’est cela que je voulais faire : chercher pour ne pas se résigner face à la maladie », raconte le directeur avec l’enthousiasme des premiers jours. « À partir du moment où l'on choisit de faire ce métier, ajoute-t-il, le problème du patient devient notre problème. On est engagé. On est condamné à espérer. »

Il fait alors des maladies incurables et cécitantes, son combat. Un combat qu’il mène en ophtalmologie, une spécialité qui offre de nouveaux espoirs thérapeutiques et dans laquelle il est entré pour la beauté de l’œil et la carrière d’une autre. Lui qui a refusé de se plier au rabâchage de la préparation de l’internat, obtient d’abord une place en radiologie à laquelle il renonce au profit d’une de ses amies classée derrière lui. « Elle voulait vraiment devenir radiologue ; moi je ne savais pas encore, confesse le praticien avec humilité, alors en découvrant la pratique de l’ophtalmologie, j’ai choisi de m’intéresser à la vision. »

Croiser les savoirs 

Désormais, José-Alain Sahel articule les disciplines au service du patient, allant de la molécule au comportement et du gène à l'expérience de la vie quotidienne. « La force de José Sahel, souligne Serge Picaud, c’est de réussir à percevoir les compétences qu’il faut agréger pour traduire une question humaine en des questions scientifiques multiples. Il n'y a pas de bonne recherche appliquée sans bonne recherche fondamentale. » La structure même de l’Institut de la Vision reflète cette interdisciplinarité. L’architecture est pensée de façon à ne pas cloisonner le savoir et à favoriser les synergies. « Notre rôle est de créer un espace de liberté et de désir où les gens ont envie de faire des choses ensemble, explique le professeur. Ce que chacun ne pourrait pas faire seul devient ici possible à plusieurs. C’est un puzzle : chaque pièce n'a pas de valeur en soi, tout le monde est nécessaire. C’est ça qui fait notre force ». C’est d’ailleurs cette synergie que viennent chercher les scientifiques internationaux de premier plan qui s’installent par dizaine à l’Institut de la Vision. Et c’est cette même force qui explique, sans doute, les succès retentissants du centre.
« La différence entre le succès et l'échec ? C’est un quart d'heure de plus, sourit le professeur. Quand d'autres s’arrêteraient là, moi je réessaie encore une fois ». Tenter de nouvelles expériences, rater, apprendre de l’échec et recommencer, voici le leitmotiv de José-Alain Sahel. Une philosophie pragmatique qu’il nourrit quotidiennement par la confrontation au réel et la lecture de Levinas, Descartes ou Merleau-Ponty. Une philosophie en acte qui l’amène à monter plusieurs startups à l’origine d’innovations thérapeutiques révolutionnaires comme la rétine artificielle, la thérapie cellulaire, les techniques d’imagerie de pointe ou encore l’optogénétique. « Nous avons créé des entreprises parce qu'il fallait le faire, explique-t-il avec une étonnante évidence. Il n’y avait pas de paysage industriel en ophtalmologie en France. Dans la vie, il y a un moment où les choses s’imposent d’elles-mêmes ». 

Dépasser les frontières 

Entrepreneur, directeur de l’Institut de la Vision, médecin, chef de service, père de famille, José-Alain Sahel jongle aussi entre deux lieux : Paris et Pittsburgh, cette ville de Pennsylvanie où il s’est, en partie, installé avec les siens il y a quelques années. Là-bas, il s’est lancé dans un nouveau projet : monter un second institut, aujourd'hui en construction  « dix fois plus grand que celui de Paris. Mais pas forcément dix fois meilleur », précise-t-il. Son objectif : créer des passerelles entre Sorbonne Université et l’université de Pittsburgh pour restaurer la vue et pallier le handicap. Déjà neuf projets transatlantiques en cours. « La recherche n’a pas de frontière et ne doit pas en avoir », affirme celui qui, travaillant dans deux pays, confesse ne plus toujours savoir où il habite.

Alors pour se retrouver, il se ménage chaque jour un temps pour lire, réfléchir, écouter de la musique, un temps pour penser et prendre de la hauteur. « Je crois en la connaissance comme remède à de nombreuses souffrances de l'humanité et comme façon de dépasser nos limites », confie cet homme pour qui la lecture est devenue rituel. Un temps de recueillement volé au flux quotidien de la bureaucratie, à ces heures passées à régler des problèmes comptables, à trouver des crédits, à répondre aux appels d'offre, à ménager les susceptibilités. Et de citer René Char, un tic chez ce féru de littérature, pour rappeler que « l’essentiel est sans cesse menacé par l’insignifiant ». 

Transmettre 

L’essentiel, c’est aussi pour lui, de partager la lumière. « Il a eu à cœur, insiste Serge Picaud, de permettre à tous ceux qui l'ont accompagné depuis le début de grandir avec lui. Il nous a nourris intellectuellement et nous a aidés à trouver les financements pour continuer à nous développer et atteindre le niveau des meilleures équipes au monde. » 

À l’heure où, préparant sa succession, il s’engage dans une démarche d’effacement et renonce aux responsabilités qui lui semblent accessoires, sa seule exigence est de permettre à ses collègues de garder leur enthousiasme. « Qu'on ne tue pas la soif, qu'on ne tue pas la faim, qu'on ne tue pas l'envie », scande-t-il, lui qui toute sa vie a cherché à libérer les énergies créatrices et scientifiques au profit des patients.

Une soif d’apprendre et de comprendre que lui avait transmise l’un de ses mentors, le professeur d’ophtalmologie Alfred Brini. En entendant José-Alain Sahel décrire cet homme « d'une extrême intégrité intellectuelle et personnelle, habité par une exigence d'honnêteté totale et attentif à chaque détail pour le patient », on ne peut s’empêcher de sourire et de voir dans ces mots le propre reflet du directeur de l’Institut de la Vision. Le reflet d’un homme mû par une volonté sans faille à ne jamais se résigner pour faire chaque jour entrer un peu plus de lumière chez ceux qui vivent dans l’ombre. 

L’Institut de la Vision

L’Institut de la Vision est un centre de recherche de dimension internationale entièrement dédié à la recherche sur les maladies de la vision.
L’organisation innovante de l’Institut de la Vision, qui réunit chercheurs, médecins et industriels autour des patients du Centre Hospitalier National d'Ophtalmologie (CHNO) des Quinze-Vingts à Paris, permet de découvrir, tester et développer de nouvelles solutions thérapeutiques ou technologiques afin de prévenir les maladies oculaires ou d’en limiter les effets. Conçu comme un lieu de rassemblement et d’échanges, il permet le partage d’idées, l’émergence de nouvelles questions et l’accélération du transfert des résultats de la recherche pour le soin des patients.

En 10 dates

•    1955 : Naissance à Tlemcen (Algérie)
•    1980 : Doctorat de médecine, médaille de la faculté de Paris
•    1984 : Diplôme national d’ophtalmologie
•    1988-2002 : Professeur d’ophtalmologie et directeur du laboratoire de pathologie oculaire de l’Université de Strasbourg
•    Depuis 2001 : Chef de service d’ophtalmologie de l’hôpital des Quinze-Vingt et de la fondation Rothschild, Paris
•    Depuis 2002 : Professeur d’ophtalmologie, Sorbonne Université, Paris
•    2005 : Co-fondateur de Fovea Pharmaceuticals, aujourd’hui Division d'ophtalmologie de SANOFI
•    2007 : Membre de l’Académie des Sciences
•    2009 : Directeur de l’Institut de la Vision
•    2013 : Co-fondateur des start-up Pixum Vision et Gensight