Jeu vidéo et santé : unis pour le meilleur et pour guérir ?

Trop bêtes, trop violents ou trop addictifs... Si c'est ce que vous pensez des jeux vidéo, ce qui va suivre pourrait bien vous faire changer d'avis. Depuis quelques années, la tendance est au jeu vidéo thérapeutique. L'objectif ? Aider les patients avec le gaming, faire du vidéoludique une solution reconnue par les professionnels et pourquoi pas un jour, remboursée par la sécurité sociale.

Par Aurélien Robert

  • 5 min

Jeu vidéo et santé : unis pour le meilleur et pour guérir ?

Halte aux idées reçues ! Le jeu vidéo, ce n’est pas seulement de la bagarre virtuelle, de la simulation sportive ou un petit plombier qui tente désespérément de sauver sa princesse. La preuve, certains médecins pourraient même un jour vous les prescrire. Ces irréductibles sont ceux qui croient aux vertus du serious gaming (les jeux dont la vocation dépasse le simple divertissement) pour faire progresser des patients atteints de troubles physiques et cognitifs. Certains spécialistes en ont même fait leur fer de lance et militent pour qu’il soit davantage reconnu par leurs confrères.

« La ludification des actions de soins a des effets souvent positifs sur la motivation des patients. La démarche de soins en est facilitée avec des malades dont les pathologies sont souvent très difficiles et pour qui être inactif n’est pas une option », observe le Professeur Pascal Staccini, médecin spécialisé en informatique de santé et fondateur du SeGaMed, le premier colloque de médecine dédié au serious gaming. Reste que s’il en fait la promotion dans sa profession, le médecin nuance aussi leur impact : « Attention aux mots, « thérapeutique » laisse entendre que les jeux vidéo soignent directement. Non, un jeu ne soigne et ne guérit pas, il peut contribuer à faciliter le travail du soignant, la rééducation du patient et sa prise de médicaments ». Intéressant, d’autant que la plupart des entreprises du secteur se targuent justement de développer des « jeux vidéo thérapeutiques ». 

« Réduire les troubles de la marche et de l’équilibre chez les patients parkinsoniens »  

En France, l’Institut du Cerveau et de la Moelle épinière (ICM) de la Pitié Salpêtrière fait figure de pionnier. Il héberge le laboratoire BRAIN e-NOVATION où collaborent les médecins de l’ICM et l’entreprise Genious Healthcare, spécialisée dans le développement de « jeux vidéo thérapeutiques ». Leur création phare s’appelle Toap Run, un jeu vidéo pour des patients souffrant de la maladie de Parkinson. « L’objectif est de réduire les troubles de la marche et de l’équilibre chez les parkinsoniens. Le jeu incite les malades à faire de grands mouvements, des gestes qu’ils ne feraient jamais sans l’immersion du jeu vidéo », détaille Agnès Aubert, chef de projet digital au laboratoire.  

Le dispositif est simple : grâce à une caméra Kinect, le joueur incarne une taupe qui doit réussir un parcours d’obstacles, tout en collectant le maximum de pièces. Il doit bouger, fléchir, lever et étirer les membres et le buste. Autant de mouvements qu’il aurait fait dans un programme de rééducation plus classique, avec l’aspect ludique en plus. Justement, tout l’intérêt du jeu est de joindre l’utile à l’agréable en permettant aux patients de progresser en s’amusant. Les efforts physiques consentis sont les mêmes, mais le jeu vidéo annihile en partie le déficit de motivation et de concentration de certains. Et cela semble porter ses fruits : d’après les premières études, les troubles (chutes, pertes d’équilibre…) diminueraient de 40 % chez les joueurs de Toap run.

Avec sa plateforme Curapy, Genious Healthcare équipe aussi les patients à domicile. L’ambition ultime ? Etre remboursé par la sécurité sociale. Compliqué, même si la classification de Toap Run comme « dispositif médical de classe 1 » est peut-être un premier pas.  

À l’épreuve de la validation clinique 

Ce label gage des qualités du jeu vidéo auprès des praticiens de santé et c’est donc un enjeu de taille pour les créateurs. Pour l’obtenir, il faut se prêter au jeu de la validation clinique et des études médico-économiques. Un processus indispensable. « Si on développe des dispositifs médicaux, on ne peut pas envisager d’être commercialisé avant d’en être passé par là », souligne Antoine Seilles, CEO de Natural Pad. En 2015, il a lancé MediMoov, une plateforme de cinq physio-games (jeux qui rééduquent par le mouvement) dont le credo est l’ergothérapie par le jeu vidéo. Trois ans de développement, d’essais et de validation clinique lui ont été nécessaires pour en arriver là. 

Des démarches souvent longues et difficiles : « Il faut trois à six mois pour les études pilotes et deux ans environ pour une étude clinique sur un panel de 200 patients », continue-t-il. Or, dans un univers où les technologies évoluent vite, le temps est une ressource précieuse. Sans le remettre en cause, le docteur en informatique admet donc sans problème que le système a des lacunes : « Nous suivons les mêmes étapes de validation que les médicaments classiques alors que nous faisons des jeux vidéo, ce n’est pas adapté et cela manque de souplesse ». À l’entendre, les choses seraient néanmoins en train d’évoluer dans le bon sens pour que les spécificités des jeux sérieux soient mieux reconnues. 

Bientôt à l’école ? 

On l’oublierait presque avec tous ces serious games destinés aux seniors, mais les jeux vidéo sont d’abord l’affaire des jeunes. « Les six saisons de brume », dernier jeu du studio Tralalere est une piqûre de rappel. Il a été conçu pour dépister les enfants dyspraxiques et dyslexiques dans les salles de classe de l’école primaire. En jouant sur sa tablette tactile, l’écolier doit suivre des courbes, reproduire des trajectoires et suivre un rythme en jouant avec ses doigts. « Ces exercices se rapprochent des tests réalisés dans les cabinets d’orthophonie, le jeu nous permet de repérer et de mieux accompagner ensuite les écoliers qui souffrent de ces troubles », explique Catherine Rolland qui a supervisé le projet. « Les jeux destinés aux enfants sont les plus prometteurs parce qu’à cet âge, ils sont plus réceptifs et jouer fait plus facilement changer les comportements », estime quant à lui Pascal Staccini. Développé en collaboration étroite avec des spécialistes des jeux vidéo et des problèmes d’acquisition du langage , « Les six saisons de brume » sera en test tout l’été dans la région de Poitiers. Il devrait y équiper les salles de classe dans la foulée.  

A la recherche du juste prix 

De plus en plus de jeux, de plus en plus de joueurs, des médecins qui y s’y intéressent de près… ces jeux vidéo originaux semblent encore avoir un bel avenir devant eux. S’il reconnaît le potentiel et la plus-value des jeux vidéo dans le domaine de la santé, Julian Alvarez, chercheur et concepteur de serious games note cependant certaines limites à ces nouvelles solutions numériques. « La question la plus épineuse est pécuniaire : qui va financer le développement et l’achat de ces jeux vidéo ?, s’interroge-t-il. Certes, les pouvoirs publics subventionnent bien volontiers certaines initiatives comme « Les six saisons de brume ». Mais s’équiper reste coûteux. À terme, le jeu devrait être proposé aux familles pour que les enfants jouent à domicile. C’est peu dire que tous les parents ne pourront pas se permettre d’investir s’il n’est pas proposé gratuitement. Comptez également 4500 euros pour bénéficier de MediMoov (matériel/installation/licences). Le service s’adresse avant tout aux professionnels et à ce tarif, ce n’est sans doute pas prêt d’évoluer. D’autant que le marché reste une niche où l’essentiel de la demande vient encore des établissements de santé. 

Ce n’est pas un secret non plus, les jeux vidéo ont aussi souvent mauvaise presse dans l’imaginaire collectif. Pour ne rien arranger, l’année dernière l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) a reconnu l’addiction au gaming comme une maladie. Là encore, pas de doute pour le spécialiste : « L’autre défi pour le jeu vidéo de santé est de convaincre que la consommation d’écrans peut être plus vertueuse que mauvaise ». Pas certain que le stigmate parvienne à être retourné tout de suite.  

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