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Depuis quelques temps, le propos sur l’échec tend à évoluer et à sortir peu à peu du déni. C’est notamment le cas dans l’univers entrepreneurial, bien que de façon encore très inégale. Mais il reste encore très difficile d’évoquer les formes de fragilité ou de vulnérabilité qui caractérisent les ruptures professionnelles.

Une maladie grave, un état d’épuisement de longue durée, un événement familial dramatique… Autant de chocs qui sont rarement considérés comme des problématiques dignes d’être traitées. S’y confronter est synonyme de mobilisation émotionnelle, cognitive, personnelle et familiale. Ils agissent comme des bombes à déflagration. C’est comme si le monde s’effondrait, à tel point que certains mettront toute leur énergie à cacher ces fractures, parfois jusqu’au drame.

En France, l’absentéisme des actifs coûte 108 milliards d’euros par an selon l’Institut Sapiens, ce qui est l’équivalent du budget de l’Education nationale. Ce chiffre n’est que la partie visible d’une situation inquiétante. Les absences qui nous occupent ici sont de profondes fractures dans une vie. Ces ruptures brutales brisent le quotidien et celui d’une famille. Un choc immense auquel vient s’ajouter celui de la perte de son identité professionnelle. S’engage alors un combat contre la fatalité, alors que naît un sentiment d’injustice suscitant une colère bouleversante. La peur, l’angoisse, l’épuisement, les analyses, les traitements médicaux et les procédures administratives occupent tout l’espace. Les individus qui sont confrontés à ces situations font parfois face à une grande solitude, au découragement et même à la précarité. La cascade de mauvaises nouvelles les accable. C’est le temps des pertes : santé, travail, conjoint qui parfois fuit la maladie et la vision qu’elle donne de l’autre, amis, estime de soi, ressources, repères…

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Le chemin à parcourir pour rétablir les équilibres et les transformer en quelque chose de nouveau est immense. Et l’adversité peut entraîner des apprentissages inattendus.

Face à l’adversité

Depuis de nombreuses années, la notion de résilience permet de porter un autre regard sur les effets de ces chocs sur les individus.

La physique des matériaux, le berceau du concept de résilience, évoque « la résistance des matériaux soumis à un choc élevé et la capacité pour une structure d’absorber l’énergie cinétique du milieu sans se rompre ». Emmy Werner, célèbre psychologue américaine, a introduit le concept dans le champ de la psychologie après avoir mené une recherche longitudinale auprès d’enfants très défavorisés d’une île d’Hawaï, qu’elle a suivis pendant trente ans. La recherche sur la résilience s’est ensuite développée partout dans le monde : au Canada avec les travaux de Michel Lemay, aux Etats-Unis avec les recherches fondatrices de Michael Rutter, de Kathleen Sutcliffe et Timothy Vogus, ainsi que de Glenn Richardson (qui sont à l’origine de l’approche par les facteurs de protection et de risque et qui se sont intéressés aux conditions d’apparition de la résilience chez les enfants et dans l’écosystème de la famille) et, plus récemment, avec ceux de George Bonanno. En Europe, les travaux de Serban Ionescou, de Boris Cyrulnik et de Marie Anaud ont mis en évidence la dimension dynamique de la résilience.

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La résilience est générée par une intrusion dans notre vie, par un événement qui vient nous blesser physiquement, moralement, émotionnellement, mentalement, et parfois sur tous les plans en même temps. La résilience est possible lorsqu’un choc violent, parfois répété, vient interpeller une personne, un élément, une structure. La résilience naît donc d’abord d’un traumatisme. Nous pouvons rencontrer différents types de situations stressantes et difficiles qui nécessitent aussi de notre part des formes de réponse, de protection ou d’adaptation provisoires pour réduire leurs effets sur notre équilibre, mais un traumatisme, c’est autre chose. C’est un coup de poing à notre intégrité psychique, morale ou sociale. La résilience se développe à partir des caractéristiques propres à l’individu (mécanismes de défense mobilisés, éléments de personnalité), mêlant dimensions cognitive et comportementale.

Les expériences hautement traumatisantes et stressantes peuvent rendre les individus plus sensibles aux confrontations ultérieures ou, au contraire, les rendre plus insensibles à ces dernières. Au cœur d’un parcours accidenté et bousculé, certaines caractéristiques de l’événement lui-même peuvent, selon le contexte, devenir des facteurs de protection. La résistance à l’adversité est relative, elle n’est jamais absolue. Les bases de la résistance sont liées à la fois à l’environnement et à la constitution de l’individu. Le degré de résistance n’est pas une donnée fixe, elle varie avec le temps et selon les contextes. Pour toutes ces raisons, la plupart des chercheurs ont préféré se mettre d’accord sur le terme de « résilience » plutôt que sur celui d’« invulnérabilité ». Les individus succombent essentiellement du fait de l’accumulation et de la somme des facteurs de risque. Ceux qui trouvent la voie du rebond ont sans doute rencontré moins de ces facteurs cumulés de stress, moins d’adversités multiples ou bien ces derniers ont été contrebalancés par des expériences positives ou des événements plus heureux, auxquels ils ont pu se référer.

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L’événement n’est pas figé ni dans le temps ni dans l’espace, car il est indissociable de son retentissement sur l’individu et donc de la façon dont il va le vivre dans le temps et le transformer. L’individu donne sens à l’événement, le « traite » de la façon la plus adaptée pour lui-même. Nous avons tendance à vouloir « mécaniser » et schématiser l’idée de la transformation. Or la temporalité n’est ni uniforme ni linéaire.

Transformer l’épreuve

Pour montrer l’impact de ces épreuves sur les individus, nous allons ici présenter les quatre étapes nécessaires pour les traverser et la façon dont ces dernières font aussi émerger des compétences et des talents particuliers. Il va de soi qu’il ne s’agit pas d’un développement linéaire : ce processus fait l’objet de nombreuses boucles de rétroaction.

1. Faire face, apprendre l’acceptation et le soin de soi

Le processus de guérison médical et psychologique est éprouvant et nécessite un autre niveau de prise en considération de soi, basé sur la patience et l’acceptation. Les formes de détresse consécutives à la perte de son emploi dans des circonstances douloureuses vont faire naître un double enjeu de survie, personnelle et sociale.

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Cette confrontation forcée par l’urgence médicale et la contrainte des soins constitue aussi une opportunité, celle de faire naître une nouvelle vision de sa vie, un sens aigu des priorités, un face-à-face avec le présent « absolu ». Après la phase de sidération, souvent de déni, vient en effet le temps des ressources comme la détermination, le courage et parfois aussi du sens de l’humour.

2. Retrouver l’estime de soi et la confiance en soi

L’exposition à l’adversité porte atteinte à l’image de soi-même. Reconquérir progressivement un sentiment d’estime de soi est alors essentiel pour retrouver l’assurance nécessaire à une reprise de contact avec la vie sociale et professionnelle.

Il est donc crucial de décider de reprendre le contrôle sur sa vie, en se concentrant sur l’objectif fondamental : « la guérison » et les victoires intermédiaires qui y mènent. Ce changement de paramétrage interne peut s’avérer très utile collectivement pour traverser un trauma social et/ou économique.

3. Donner du sens aux événements, mettre à plat l’expérience et se repositionner

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Pouvoir mettre l’événement à distance et le regarder autrement représente une source d’apaisement essentielle au réapprentissage social. Trouver du sens à sa propre histoire, y compris dans les aspects les plus noirs, et nommer le non-sens permettent de remettre de l’ordre.

Cet autre niveau de lecture est un élément clé de la reconquête de son intégrité. La prise de recul, ainsi que le travail de témoignage et de retissage de sa propre histoire sont ici à l’œuvre. Une pratique de « mise en sens » qui a aussi son intérêt dans le cadre d’une organisation.

4. Se rouvrir au monde, oser se confronter au déni des autres, sortir de la stigmatisation

Reprendre contact avec l’environnement extérieur et la vie sociale pour reconstruire une démarche professionnelle représente une étape clé. Il s’agit de « ré apprivoiser » ce monde. La peur que peuvent inspirer la maladie, l’échec ou ce qui y est apparenté suscitent parfois des réactions de fuite ou des situations de malaise très difficiles à vivre.

Faire face au déni et au tabou de l’environnement, qu’ils soient visibles ou non, est essentiel. Accepter de s’exprimer, de partager et de témoigner, sans tabou et sans hargne, représente des paliers dans la reprise de contact avec l’extérieur qui sont autant de ressources au service d’un collectif comme l’entreprise.

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Tous ces talents ne sont que rarement mis en lumière comme des ressources pour l’avenir. Le chemin à parcourir est encore long : aujourd’hui, il est encore très difficile de retourner dans le même environnement professionnel après une très longue maladie. Nous sommes pourtant tous concernés. Une de nos priorités collectives doit être de rendre possible la réintégration plutôt que l’exclusion de ces individus et de leurs ressources, pour créer une véritable culture du rebond organisationnel.

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