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MadonnaMadonna : "J'aime les Français parce qu'ils sont très... têtus !"

Par Romain Burrel le 24/02/2020
Madonna

Madonna a entamé dimanche une série de 12 concerts au Grand Rex, à Paris. En mai dernier, l'icône de la pop était revenue pour TÊTU sur la genèse de son 14è album, Madame X, sur ses convictions politiques, ses provocations, et son attachement au Portugal... et à la France.

Cette interview a été initialement publiée dans le numéro 219 du magazine TÊTU. 

"Icône”. En voilà un mot galvaudé. Un mot de nos jours accolé à la moindre chanteuse sucrée capable de tenir plus d’une semaine au sommet des charts. Un mot que nous, homosexuels, avons arraché à la religion. Un mot qui devrait uniquement sanctifier une personne qui mérite notre amour. Une personne qui nous aime. Qui donne autant qu’elle reçoit. Une personne comme Madonna.

Louise Ciccone, de son vrai nom, est une icône gay pour mille raisons. La plupart ont été énumérées par la Gay and Lesbian Alliance against Defamation (Glaad) lorsque la chanteuse a reçu le prix Advocate for Change : supportrice du mariage pour les couples de même sexe, défenseuse des droits LGBT+, promotrice du voguing, chantre du sexe positif... Dès 1989, lorsqu’elle publie son album Like a Prayer, elle insère dans la pochette une carte participant à la lutte contre le sida, “Aids is No Party!”, sur laquelle on peut lire : “Les gens avec VIH – qu’elle que soit leur orientation sexuelle – méritent compassion et soutien, et non violence et bigoterie.” Alors, depuis ses débuts “virginaux”, entre elle et nous, c’est l’amour fou.

 

Appel à la révolte

Quatre ans après Rebel Heart, la star revient avec un 14e album baptisé “Madame X”, son disque le plus politique depuis American Life (2003). Un travail complexe, rétif, déroutant, polyglotte. À 60 ans, Madonna publie l’album le plus audacieux de sa carrière. Il faut bien l’admettre, les disques Hard Candy, MDNA et Rebel Heart ont déçu. Après les échecs commerciaux d’American Life et de Confession on the Dancefloor, la chanteuse a craint de perdre les États-Unis. Elle a alors cessé de prendre des risques, de défricher. Celle qui avait su se réinventer avec Ray of Light et Music – en offrant un futur à la pop des années 2000 – s’est mise au pas. Elle, pourtant si douée pour dénicher les talents émergents, s’est mise, comme les autres, à courir après les producteurs du moment : Pharrell, Timbaland, Diplo...

Ces dernières semaines, l’industrie du disque bruissait de rumeurs. On parlait d’un album de featurings, d’un disque disco, d’un retour au son de Music. Il n’en est rien. Certes, on trouve quelques rappeurs sur l’album, comme Quavo de Migos (“Future”) ou le Colombien Maluma. Mais la star se démène pour amener la pop music sur de nouveaux territoires : fado, reggaeton, dancehall. On entend un morceau fou, comme si Daft Punk avait remixé “Bohemian Rhapsody” de Queen (“Dark Ballet”), des pianos jazzy et des vocoders malades (“God Control”), du reggaeton implacable chanté en portugais (“Faz Gostoso”). Il n’y a guère qu’un seul titre de l’album qui rappelle la Madonna d’avant (“Crazy”). Madame X est tout autant un appel à la révolte et au contrôle des armes à feu, qu’un manifeste en faveur des droits des minorités (“I Rise”) et à la solidarité (“Killers who are Partying”).

Des mois de tractations

Depuis sa création, TÊTU a envoyé des milliers d’invitations à Madonna, qui sont toutes restées lettre morte. Après des mois de tractation, un rendez-vous est finalement pris, à Londres, dans un hôtel du quartier très posh de Marylebone. La star nous met trois heures de retard dans la vue, refuse de parler d’autre chose que de son disque. Mais qu’importe, c’est Madonna. On s’exécute. Surtout, ne vous imaginez pas une femme blasée ou insensible.

Alors qu’elle rentre dans la pièce où se déroulera l’interview durant près d’une demi-heure, Madonna semble, derrière le cache-œil du personnage promo de Madame X, tout aussi fébrile que les journalistes qui lui font face. Elle sait que son disque représente une prise de risques et veut le défendre. Prudente, elle exige des précisions quand nos questions ne lui semblent pas assez affûtées et refuse de plonger dans une polémique sans contexte. Elle sait que la moindre étincelle peut mettre le feu aux tabloïds et aux réseaux sociaux. Le regard rigoureux de sa publiciste Kelly Bush-Novak veille sur nous.

TÊTU : Madame X, que l’on vient d’écouter, est clairement votre disque le plus politique depuis American Life. Quel est votre état d’esprit face au monde. Avez-vous peur ? Êtes-vous en colère ? En avez-vous assez ?

Madonna : Un peu tout cela à la fois. J’ai peur. Je suis effrayée par tellement de choses qui se passent dans le monde. Comme vous, j’en suis sûr. Mais je suis aussi optimiste. J’ai l’impression que le futur n’a jamais été aussi ouvert. J’espère avoir réussi à dompter ma rage et ma colère pour créer une musique pleine de joie. Et je souhaite, à travers ces nouvelles chansons, inspirer les gens à agir. Car c’est ce que nous devons faire de notre colère. On ne changera pas le monde avec de la fureur. Je ressens précisément chaque sentiment que vous évoquez. Et, de bien des manières, ce nouvel album est effectivement dans la continuité d’American Life.

"La société adore catégoriser, étiqueter et séparer les gens : les pauvres, les gays, les Africains..."

Sur “Killers who are Partying”, vous chantez : “Je serai Israël, si Israël est incarcéré / Je serai l’Islam, si l’Islam est attaqué.” Que doit-on comprendre ? Que vous voulez faire corps avec les minorités ?